Faut-il se méfier de l'amour ?
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"faut-il":
évocation d'une nécessité dont il faut cerner les limites.
Nécessité indiscutable, quelles que soient les conditions ou nécessités
à définir selon des bases de données : compréhension du mot "amour" par exemple. Cette nécessité
est -elle à mettre en parallèle avec un danger, est elle humaine ou
morale? Se méfier le mot donne une couleur négative
au terme qui suit : quelque chose dont on attend des déceptions ou des
conséquences fâcheuses pour nous même On se méfie souvent de quelque chose du fait qu'il peut nous
tromper par apparence (cf. "illusion") ou nous nuire en nous
renvoyant à la dépendance par ex. Amour étymologiquement
amor< éros latin ou lieb allemand (libido) termes qui renvoient au
"plaisir" C'est un sentiment de nature intellectuelle ou charnelle,
engendré par le désir : il entraîne l'attachement ( différent de
dépendance) et
un désir de fusion entre 2 êtres ou entre un être et une chose. Un
attachement dont on attend en général spontanément le plaisir, voire
le bonheur. Donc une telle question présuppose que l'amour, au lieu d'être
une source de bien, de bonheur, serait quelquefois une source de souffrance,
autant physique que morale. Il serait en ce cas de l'ordre de l'illusion
et nous conduirait à l'erreur. Mais autre question : cette illusion est elle dangereuse et
négative ? Est
elle incontournable ? Il importe donc de savoir de quel ordre est cette
illusion et de quels dangers elle est la source. L'amour est il une illusion? Est il toujours néfaste?
Y-a-t-il plusieurs catégories d'amour (concupiscent, bienveillant,
passionnel, moral….) L'amour est il fondamentalement lié à la nature humaine :
peut-on le supprimer d'une vie? Peut-on et dans quel cas contrôler l'amour, lui enlever ses côtés ou ses conséquences négatives ?... PLAN DE LA CONFÉRENCE1° OUI L'AMOUR EST NÉFASTE A) il est "illusion"
- la cristallisation chez
Stendhal
- le fantasme, la
projection, condensation et
déplacement en psy B) il entraîne souvent beaucoup de souffrance
< "patio" je souffre cf. "passion" C) il témoigne d'égoïsme
cf. l'amour de complaisance, concupiscent, malveillant
Proust, Kant, Descartes Pour des raisons différentes! Kant
: l'usage du corps, Descartes une mauvaise utilisation D) il se met ainsi en conflit avec la liberté et la responsabilité
Kant parlera "d'amour pathologique" 2° NON L AMOUR N'EST PAS NÉFASTE, IL SUFFIT DE LE CANALISER,DE NE PAS PLONGER DANS LA PASSION ! A) Descartes : l'amour est un sentiment qui nous
met en rapport avec le monde: il faut se méfier de ses mauvaises
utilisations. B)
Kant Choisissons
un amour de devoir, "pratique",
accédant au bien et à la vérité. (rejoint ici les existentialistes!) 3°HEGEL:NON IL NE FAIT PAS
SE MEFIER DE LA PASSION CONCLUSION: l'amour
véritable, idéal. 1° OUI L'AMOUR EST NEFASTE A)
L'AMOUR
EST ILLUSION Ø
C'est ce qu'ont montré beaucoup d'écrivains en particulier
Stendhal dans "De l'amour" avec sa conception presque
philosophique de la "cristallisation".Cette conception
contient deux idées: -
aimer c'est doter de perfections quelque chose de banal.
Rappelons - nous également de la phrase de Lucrèce: " dans
l'aveuglement de leur passion, les hommes attribuent à l'objet
de leur amour, les mérites qu'il n'a pas" in De la nature - L'attribution de ces perfections est due au travail de l'imagination qui au gré des associations suscitées en elle par des rencontres ou des incidents entrecroisés, projette sur l'être aimé des qualités qu'il ne possède pas en lui même.
La "cristallisation" symbolise un processus par lequel
sur un être en lui même insignifiant, banal et prosaïque, s'agglomèrent
des ornements qui comme les cristaux sont des concrétisations
splendides, magiques, qui "brillent" de toutes leurs facettes,
à l'instar des diamants et sont pourtant des phénomènes naturels
automatisés par l'imagination. Ø
Cette rêverie,
Freud l'appellera fantasme: il s'agit d'une projection par laquelle on
met de soi même dans autrui, procédant par condensation( plusieurs
images en une seule), et déplacement( passage d'une image à une autre
qui lui est contiguë) Un être aimé cristallise nos pensées
et notre imaginaire: il est aimé s'il est fantasmé, c'est au sens
propre un être de rêve. L'amour devient donc erreur sur la
réalité: nous ne voyons pas notre amoureux tel qu'il est, nous croyons
aimer quelqu'un pour ce qu'il est réellement, mais en fait nous
n'aimons à travers lui que l'idée que nous nous faisons de l'amour et
de nous mêmes. Cet amour ainsi défini rejoindrait
peut être la passion au sens strict du terme, c.a.d. une attirance exagérée,
irrationnelle, dominante et exclusive: nous y reviendrons. B) L'AMOUR SOUFFRANCESi l'amour est ainsi illusion, mène-t-il à la souffrance : Oui, d'ailleurs le terme "patio" qui a mené au terme de passion" signifie souffrance et soumission. L'amour-passion s'accompagne de
douleur, d'esclavage et donc de perte de liberté: Stendhal parlait de
"l'amour tourmente". Cela va quelquefois jusqu'à la
folie ou à la mort (cf. les mythes comme Tristan et Yseult) C)L'AMOUR EST LE PLUS SOUVENT EGOISTESi l'on reprends les idées stendhaliennes et freudiennes, l'amour est un ajout égocentrique, imaginaire artificiel. Il a un caractère narcissique et égoïste : L'amour est un plaisir pris à soi-même, par délégation. Descartes critiquera par rapport à
cela l'amour de complaisance( mais il laissera la possibilités d'amour
moins égoïstes…) Proust évoquera cette pensée dans
toute la recherche… Kant critiquera l'amour dans la même
base de données: l'amour concupiscent, désir de possession. Ce qui intéresse
l'amoureux, c'est son désir et la réalisation de ce désir. C'est un
amour qui nie autrui, ne le respecte pas. L'autre est traité comme un
moyen, mais pas en même temps comme une fin en lui-même. Cet amour empêche toute raison et
toute réflexion. Cela dit, Kant proposera lui aussi une issue:s'écarter
de l'amour d'inclination pathologique
vers un amour moral de devoir D ) L'AMOUR, BLOCAGE DE LA
VERITE ET DE LA LIBERTE Du fait de son côté illusoire, l'amour déguise l'objet et s'oppose à la vérité : Il attaque la morale. Que suppose la morale ? On peut répondre que la condition qui fait de nous des êtres moraux, c'est que l'on soit libre. En effet nul ne peut nous accuser d'un crime, d'un acte amoral si nous ne sommes pas considérés comme libres : Nous serions coupable d'avoir commis une faute, d'en être la cause, mais pas responsable. La loi reconnaît que l'on n'est pas en possession de sa raison dans l'alcool, la folie ou l'amour passionnel. L'amour se présente ainsi comme
une force aveugle et qui nous aliène.: celui qui est victime d'un amour
fou se moque de la morale, et emploiera n'importa quel moyen pour
parvenir à ses fins. Cette "logique" a été
très controversée, nous le verrons dans la deuxième partie. D'abord, elle n'est applicable qu'à
des "amours fous", et même cela sera discutable pour des
philosophes comme les existentialistes: "l'existentialiste ne croit
pas à la puissance de la passion. Il ne pensera jamais qu'une belle
passion est un torrent dévastateur qui conduit fatalement l'homme à
certains actes, et qui par conséquent est une excuse. L'homme est
responsable de sa passion" Sartre Dans cette première partie,
beaucoup de choses vraies donc: illusion, égoïsme, engendrant
souffrance et dépendance son fréquentes en amour: mais reconnaissons
qu'elles s'appliquent plutôt à l'amour passion caricatural, l'amour
fou et que justement passion hystérique n'est pas synonyme d'amour. D'autres philosophes penseront que
ces éléments tout à fait indéniables ne sont que des conséquences
d'un mauvais usage de l'amour(Descartes), d'autres penseront encore
qu'il existe des amours positifs qui ne suscitent pas la méfiance (
Kant) C'est ce que nous allons voir dans
la deuxième partie. 2°
L'AMOUR N'EST PAS NEFASTE: NE PLONGEONS PAS DANS LA PASSION!!! A) DESCARTES- L'amour n'est pas seulement
synonyme de passion au sens d'attachement exclusif, unique et aveugle.
Il faut donner un sens plus général au terme de passion et sortir de
l'étymologie. Est passion tout phénomène qui a pour origine le corps,
mais qui est ressenti comme en l'âme même. La passion, c'est le domaine de l'affectif: le lieu
originaire de la passion est bien le corps, mais ce qui est de l'ordre
de la passion est de l'ordre de l'affectif et donc un sentiment. Or, le sentiment est ce qui fait que nous avons un rapport
d'homme au monde; ce qui fait par exemple que nous voyons les bienfaits
ou les dangers de ce monde. "L'effet de toutes les passions dans les hommes est
qu'elles incitent et disposent leur âme à vouloir les choses
auxquelles prépare leur corps: en sorte que le sentiment de la peur
l'incite à vouloir fuir, celui de la hardiesse à vouloir combattre, et
ainsi des autres." Descartes sans les passions, nous ne serions pas averti qu'il faut s'échapper
en cas de danger ou s'approcher en cas d'épanouissement: "l'amour est une émotion de l'âme causée par le
mouvement des esprits, qui l'incite à se joindre de volonté aux objets
qui lui paraissent lui être convenables(…)
on imagine alors un "tout" duquel on pense être
seulement une partie, et que la chose aimée en est une autre" de telles pensées montre que la volonté provient de
l'amour, tout autant que d'une raison froide et distante. Sans l'amour,
on serait incapable de savoir ce qui est positif et de s'unir; on serait
malheureux et en manque puisque la moitié resterait inconnue. Pour Descartes, l'amour est donc de l'ordre de la nécessité
vitale , inhérent à la vie. De plus, il n'est pas nécessaire de s'en
méfier- les passions sont toutes bonnes- il faut par contre contrôler
leur usage et leur excès. S'il existe un mauvais usage de l'amour, cela tend tout de même
à prouver que l'on doit faire attention, se méfier au sens d'être
vigilant et responsable de sa vie. Il faudra rechercher un amour modéré,
non égoïste , laissant une vision objective des choses et qui
n'utilise pas l'autre!!!!! L'amour est-il pour autant moral: oui avec les efforts cités
au dessus: d'ailleurs on trouve beaucoup d'exemples où il est la source
de grandes vertus humaines, de ce qu'on a par exemple appelé les
grandes vocations; professionnelles, politiques, religieuses,
artistiques. Il sera alors nécessaire
pour l'homme de savoir et chercher ce qu'il est convenable
d'aimer, à la limite de séparer amours positifs et négatifs, ceux qui
nous équilibrent de ceux qui nous aliènent., et de trouver les
conditions et les moyens de les réaliser: bref faire un peu de philo! B)KANTC'est ce qu'avait essayé de faire Kant, même si ses données de base sont très différentes de celles de Descartes. Pour lui, il faut se méfier de l'amour naturel, lié à
l'inclinaison: cela ne mènerait qu'à la passion, entraverait la
raison, la liberté et écarterait de la morale. Il trouve alors un bon amour - Descartes aurait parlé d'un
bon usage- Pour lui, l'amour doit être considéré comme un devoir et
non comme un sentiment. Aimer, c'est vouloir faire du Bien, réaliser le
Beau. C'est un acte libre et volontaire qui ne dépend pas du sentiment.
L'amour doit être alors "pratique", inscrit dans la volonté,
qui pour lui s'oppose à la sensibilité. L'amour doit être commandé. En tout cas, quelle que soit la conception de l'amour au
niveau de la présence ou de l'absence du corps, de l'affectif et du
naturel, on retrouve toujours la nécessité de contrôler l'amour.
Seuls les moyens proposés changent: pour certains, cela sera possible
presque spontanément, d'autres plus idéalistes repousseront le corps
et le sensible. En tout cas, il existe des chemins pour vivre l'amour en
confiance du moment qu'on ne se met pas sous emprise de la passion. Cette dernière position qui semblerait faire synthèse a
cependant été très fortement secouée par certains philosophes comme
Plotin, les existentialistes , Hegel… bref des philosophes de tout
temps. 3°NON IL NE FAUT PAS SE MEFIER DE LA PASSION "Exister, si l'on n'entend pas par là un simulacre
d'existence, ne peut se faire sans passion." Kierkegaard "Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans
passion" Hegel L'amour passion est il donc systématiquement rejetable? Cet
amour qui fait que l'on se polarise sur un objet ou sur une personne
unique! Pensons au scientifique, à l'artiste et à l'amoureux transi! La vie serait -elle nécessairement insupportable; l'amour mènera-t-il
forcément à la destruction de soi, de l'autre ou de l'humanité? Non, et en plus au contraire nous répondra Hégel: sans cet
amour excessif, nous serions inactifs. Nous ne ferions rien, nous ne créerions
rien, nous ne prendrions pas goût à la vie. Rien n'aurait d'intérêt
pour nous: nous ne serions plus en vie………. Aimer, c'est prendre intérêt à quelque chose. Grâce à
l'amour, de grandes choses vont pouvoir être accomplies dans tous les
domaines. Comment peut-on arriver à une réponse aussi opposée à
celle de Kant? C'est que pour Hégel, la raison divine( Dieu ou la
providence) a bien fait les choses. Les hommes sont ainsi faits qu'ils
ne peuvent agir uniquement sous les injections de la raison pure, qui
leur demanderait de n'agir que d'une façon désintéressée. Hégel parle de "ruse de la raison": la raison
divine ruse car elle se sert des passions pour réaliser son but: l'avènement
du droit, de la raison et de la liberté dans l'histoire. L'amour-passion réalise le progrès de l'humanité. Il n'est
nullement illusion, puisqu'il réalise l'Histoire. Réaliser revient ici
à rendre réel et vivant. L'amour ne se trompe pas puisqu'il réalise le bien le plus
grand qu'il soit. L'argument de Hegel est convaincant sur sa base: peu de
grandes choses n'ont été instaurées sans la passion. Par contre, il
occulte les risques de conséquence fâcheuse de la passion, toujours au
risque d'apparaître: il fait cela par un présupposé très personnel
selon lequel " l'histoire va vers une fin rationnelle, avec la présence
d'une raison divine qui transformerait toutes les passions en Bien. Un présupposé tout aussi contestable que le refus du corps
chez Kant. CONCLUSIONL'amour est présent dans la vie, indispensable à la continuer (Hegel et Descartes nous l'ont bien montré). Rien d'autre que l'amour ne peut mener au bien et à la création. Par contre, vu ses dangers, il faut chercher une "véritable amour", celui qu'avait essayé de cerner avec délicatesse Marcel Conche dans son ouvrage "Analyse de l'amour" (P.U.F.) Un amour sentimental, bien sûr, mais qui ne laisse pas hors
de lui raison et volonté. "Si la raison est la boussole, les passions sont les
vents" A. Pope. "Pour bien vivre, il faut entretenir en soi-même les
plus fortes passions au lieu de les réprimer. Il faut donner
satisfaction à ces passions par son courage et son intelligence en leur
prodiguant le maximum de ce qu'elles désirent" Platon L'amour réalisé engage toutes les puissances de l'homme,
mais en le laissant libre, maître de soi: non pas gouverné par son
amour, mais gouvernant son amour. Il n'a aucun ennemi si ce n'est la
mort. On peut le comparer à une entreprise, mais sans aucune forme
de domination, dont la fin est pour l'être aimé une vie heureuse parce
que vécue selon sa plus profonde vérité. Le véritable amour est philosophique parce qu'en fait partie
la méditation et la réflexion sur
la vie. Il présuppose également la réciprocité, "réciprocité"
se différenciant d'"égalité": réciprocité dans la différence:
chacun aime en étant lui-même et en s'accomplissant. Le don amoureux
n'appauvrit pas car il en résulte une plénitude; l'amour fait que l'on
ressent l'existence de l'autre comme un bienfait. Pas de méfiance pour l'amour s'il tourne autour de ses trois
côtés: sensibilité, intelligence, volonté. S'il faut se méfier de l'amour: non par contre, il faudrait
peut être se méfier de nous même: voilà peut être pourquoi nous
nous retrouvons au café philo!!! |