Mon introduction de ce débat :
Si l'on
conçoit la musique comme un art ayant comme matériau le son ou comme un
spectacle, la question se poserait déjà de manière moins vive. Peut-on
vivre sans loisir?, peut-on vivre sans l'art?: questions intéressantes
mais dégageant pas mal de polémique et sûrement pas une seule réponse.
Mais si l'on considère et
reconnaît que la portée définitionnelle de la musique a souvent
largement dépassé le domaine de l'art et de l'esthétique
-principalement dans l'antiquité et chez les Romantiques allemands du 19ème
siècle- la réponse est claire et assez tranchée: ce sera un NON.
Il
convient donc d'essayer de déterminer comment peut être perçue la
musique pour la faire ressentir comme élément indispensable, ce que nous
ferons dans une première partie en nous référant principalement aux
philosophes grecques.
Puis,
dans une deuxième partie nous essaierons de voir le lien de la musique et
de la philosophie, si la musique peut-être objet philosophiques et ce que
la musique nous apporte à ce niveau et dans notre vie
enfin peut-être voir en quoi la musique nous permet de réussir
notre vie et de faire avancer notre démarche.
Dans
cette partie, nous ferons appel à Nietzche et à Schopenhauer.
1
LA MUSIQUE CHEZ LES GRECS.
1.La
musique chez les Grecs a été conçue comme une science.
Cela
nous parait aujourd'hui bizarre car la définition que nous avons
aujourd'hui de la science serait d'avantage explicative que compréhensive.
Si donc, la musique "n'explique" rien , comment la musique
grecque a-t-elle pu être dite science à côté de l'arithmétique, de la
géométrie et astronomie dans le fameux quadrivium!
Mais
les sciences grecques étaient moins explicatives qu'interprétatives:
elles étaient vision, intériorisaient les phénomènes. Arithmétique et
Géométrie pythagoriciennes étaient une et seule ontologie de
l'espace. L'astronomie était une science du cosmos visible sur
terre, la cosmologie la science du cosmos audible sur terre. On
peut également signifier que la musique s'est développée comme une
arithmétique du sonore. Les sciences grecques étaient plutôt des arts
libéraux, davantage proches des sciences humaines.
2.La musique
comme base indispensable de toute culture et de toute éducation
Pour
Platon et beaucoup d'hommes de son époque, l'art des sons n'était pas
seulement une part de l'instruction artistique, mais il était considéré
comme un devoir avec les implications morales que cela suppose.
La
musique considérée comme le plus immatériel de tous les arts,
apparaissait comme un puissant moyen d'ascèse utilisée par les sages
pour atteindre par delà la beauté des sons et l'harmonie des rythmes, la
plénitude du silence.
3.La musique
comme lien entre l'Homme et le Cosmos
Cette
intégration de la musique dans la vie doit énormément au pythagorisme.
Le pythagorisme se présenté comme une vision du monde au centre de
laquelle se trouvaient la Musique et l'Harmonie dont les êtres et les
choses constituaient les notes.
Cette
musique présidait à l'étude de l'astronomie, de l'architecture, à
l'approfondissement du problème des relations de l'âme et du corps ou de
celles de l'homme microcosme avec l'univers. Les relations temporelles,
spatiales, physiques, affectives ou intellectuelles étaient ainsi pensées
en terme de consonances et de sympathie. Les phénomènes sonores
produisent par leurs rapports numériques sur l'esprit une impression
d'ordre et d'équilibre d'où découle un sentiment de plénitude et de
concordance avec l'univers.
DONC :
*La musique est un vitalisme pour
l'homme de par son harmonie (la santé est elle aussi harmonie, équilibre
à maintenir)
*La musique tend vers l'harmonisation des éléments et la
conciliation des forces contraires. Elle rétablit par la douceur de ses
sons et la proportion de ses rythmiques l'harmonie qu'avaient altéré les
passions. Elle apaise les passions et prône la modération
*La musique est une purification. Il y a une catharsis musicale qui
agît par un effet thérapeutique comparable à celui d'une psychanalyse.
La catharsis de Pythagore étant proche de l'allopathie et celle
d'Aristote proche de l'homéopathie
Conclusion
Tout
au long de l'histoire grecque, la musique a été considérée comme une
science, une discipline de sages organisée selon des principes mathématiques
se référant ainsi à une connaissance rationnelle.
Et en
même temps, un moyen privilégié de sonder et d'exprimer l'âme humaine,
exerçant une puissante influence sur l'affect humain jusqu'à le dompter.
Ainsi
selon Quintilien la philosophie est essentiellement musique: "il faut
pratiquer la musique et s'y former à fond parce qu'elle est la principale
compagne de la philosophie", par la musique, notre âme touche à la
vérité absolue. Par un langage symbolique, elle atteint à l'Universel
et donne la clé de concert du
monde.
(NB:
Pas étonnant que cela se soit passé si facilement pour les grecs. La langue
grecque était musique c'est-à-dire un lien entre le réel et le
mental, entre le monde et nous. La langue grecque était moins accentuée
que chantée. Elle était "chant". Instrumentale, la musique
grecque a donc du être le chant d'une langue sans les paroles.)
*****
Puis
entre le moyen-âge et le 18 ème siècle, la musique a été considérée
uniquement comme une étude théorique (naissance de l'acoustique
moderne).La musique représentait ainsi comme un auxiliaire de la
philosophie naturelle , c'est à dire de la recherche scientifique.
Après
Leibniz, on a eu tendance à séparer musique et vie. Le monde a cessé d'être
entendu et senti comme une musique pour ne plus être que conçu comme un
système ou une histoire. On a essayé de fabriquer une hyper-nature, et
manifesté le désir d'élaborer un hyper-organisme social.
Au 19
ème siècle, grâce à l'éclosion de la musique instrumentale, la
musique va être conçue dans
sa pratique et va devenir l'objet d'une nouvelle recherche
qui va essayer de se démarquer de la recherche scientifique moderne(Galilée/Descartes/Newton).
Ceci
dans une double mesure: en récusant d'abord la science moderne qui en
s'occupant apparemment de musique ne parle que d'acoustique et par
ailleurs en constatant que la musique effective qui naît à partir de
Palestrina ne doit à peu près rien au mécanisme (sinon le tempérament)
mais qu'elle a au contraire procédé d'une création spontanée et
autonome.
Un
nouveau problème épistémologique apparaît à ce moment: chercher une
hypothèse directrice distincte du mécanisme afin de prendre pour objet
la musique même et non pas ses seules sonorités.
"Il
ne faut pas comprendre la musique comme si elle était un fait du monde,
mais il faut comprendre le monde comme s' il était musique "
Schopenhauer
Donc
la musique est le langage de l'absolu:"absolu", car son être,
fruit d'une éclosion spontanée est un ab/solutum: séparé, riche de
sens et autonome, concevable par soi (//substance de Spinoza).
Mais
surtout la musique n'est pas à proprement parlé l'absolu, elle en est le
langage.
Ici
Schopenhauer reprend des idées délaissées de Kant:
la
science, en touchant les phénomènes, ne touche que le relatif.
Le
langage est écartelé: si l'homme veut connaître le monde, il parle la
langue des mathématiques mais ne touche pas l'absolu; et si l'absolu(impératifs
morale) lui parle, c'est dans
un langue sans contenu positif dans notre langage.
Or il
peut y avoir réconciliation du relatif et de l'absolu dans le langage de
l'Art. Dès lors, le chemin vers la métaphysique et vers l'absolu ne
prends plus appui sur la science, ni sur la morale, mais sur la création
et la contemplation artistique."seul un artiste peut déchiffrer le
sens de sa vie" le moyen peut-être d'éviter des erreurs!!!
L'art
et son langage: la voix royale vers l'absolu, telle a été pour les
romantiques une conséquence
-inconscience peut-être du Kantisme-
.
2.PHILOSOPHIE
ET MUSIQUE AU 19 EME SIECLE
1)Nous
l'avions évoqué, les philosophes du 19 ème siècle (qui ont plongé
leur racine chez Spinoza ,Berkeley et Goethe)et se sont prolongé chez
Adorno ont critiqué la cartésianisme, marqué par la prédominance d'un
acte capital de l'esprit:la réflexivité. Pour
les cartésiens, il y a trois niveaux:
-
la perception
-
la pensée conceptuelle qui clarifie la réalité perçue confusément
-
la conscience qui formule la différence par une définition
La réflexivité
éclaire la chose par son idée et cette idée par la formulation de son
explication.
Or, ce
type de réflexivité est inadéquat à l'expérience musicale: en
musique, une perception peut être claire et distincte immédiatement.
Alors
que pour Leibniz, la donation de sens se fait de l'intelligible au
sensible, pour la musique, c'est l'inverse: la donation de sens part du sensible
perçu.
2) Les
philosophes traditionnels entre le 17 eme et le 20 eme siècles ont intégré
la musique au sein de la vie de l'Esprit. Ils ne sont jamais parti d'elle.
Le vrai problème que pose la musique a donc été esquivé par eux:il
faut partir de la musique elle-même et non pas partir de notre esprit qui
irait à elle. Les philosophes traditionnels ont intégré la musique
comme un spectacle, ils ont ouvert les yeux face à ce spectacle, mais ce
n'est jamais la musique qui leur a ouvert les yeux.
Chez
Schopenhauer et Nietzsche (un peu déjà Goethe qui lisait les théories
dans les phénomènes ,et ne passait pas d'une théorie à un phénomène)
on part de la chose pour y confronter les idées que l'on peut s'en
donner. Il y a une mise en question
d'une certaine essence des philosophies traditionnelles.
3) Dans un sens,
c'est à la musique que revient la tâche d'engager désormais la
philosophie à se repenser en repensant entièrement son objet, sa manière
de penser. L'art et la
musique deviennent un phare de la philosophie ,son guide pour une
meilleure connaissance des phénomènes humains et enfin son maître
pour renouveler son langage.
·
Schopenhauer et la
question de la réalité
Grâce à la musique, Schopenhauer met en question le monde
de la représentation. Par la seule existence de la musique, le monde se
voit complètement basculé. Celle-ci nous apprend l'inexistence relative
du monde de la représentation. Face
à l'absolue existence de la musique, le reste n'est que néant en
acte, engendrant le pessimisme. Schopenhauer identifie la musique avec
" la chose en soi" de Kant; absolue, indicible, mais elle se dit
elle-même. Elle est également spontanéité et source de créativité.
La musique, loin d'être un
produit de l'esprit, s'est crée spontanément elle-même et elle s'offre
à la contemplation toute faite comme un TU qui s'adresse au je que je
suis. Pour Schopenhauer, seule la musique nous permet de vivre car ce ne
serait pas une vie que de survivre péniblement dans le monde de la représentation.
·
Nietzsche et la question
de la connaissance
Pour
Nietzsche, notre civilisation perd tout sens du réel ( elle ne s'occupe
que de la "représentation " de Kant ou des propositions
empiriques de Hegel). Elle oublie l'Etre, et nous conduit à une mort de
la philosophie.
En
science ,l'intelligibilité repose sur la relation de causalité. Or la
causalité n'est que peu de secours pour comprendre une œuvre d'art, tout
comme d'ailleurs un phénomène humain.
Si
l'on veut donc comprendre quelque chose au réel, à la vie, il faut récuser
les moyens ordinaires utilisés par l'explication de type scientifique
.Attention! , il ne faut pas abolir toute logique au profit d'un lyrisme dépenaillé
et frondeur. Mais il faut
repenser la logique, c'est-à- dire mettre en question ses moyens les
mieux attestés: la mécanique des relations qui s'instituent entre
concepts, se méfier de la pensée conceptuelle et revaloriser l'image
face au concept.(Pascal, Bergson y avaient déjà pensé).
Même
si l'on a besoin de concepts, il y a surtout nécessité d'une nouvelle
logique (adéquate aux phénomènes humains) et d'une nouvelle épistémologie
,en gardant un souci de sérieux et une exigence de contrôle.
CONCLUSION
·
Un exposé un peu ardu!
Justifions nous!:la musique est un mystère et comme tous les mystères
,elle est sûrement destinée à le demeurer.
·
Quand la philosophie prend
pour objet la musique, elle retrouve le sens de la réalité par
opposition aux idées et aux mots. Est réel ce qui résiste, la
musique résiste.
·
La musique permet à la
philosophie de chercher l'épistémologie dont elle a besoin (par
opposition à celle des sciences naturelles ou sciences humaines).
Car
la musique est modèle pour la compréhension du monde (Schopenhauer) mais
encore pour la connaissance des valeurs humaines (par opposition
aux faits naturels -sciences nat.- ou culturels
-sciences humaines-).
Nous
retrouvons ici les philosophes grecs: c'est peut-être les mêmes causes
formelles qui déterminent le rapport des sons et celui des affections
morales. Par extension, l'affirmation du statut métaphysique de la
musique repose sur l'idée (niée par Aristote) que les mêmes rapports
mathématiques dont les effets s'éprouvent en musique organisent tous les
domaines de la création. Non seulement la musique peut servir la cause du
savoir, mais le monde dans son fond peut-être conçu comme une musique.
·
Le dialogue
musique/philosophie est complexe. La philosophie libère la musique des
chemins tracés par la science et le progrès. La musique elle permet de
donner l'exemple que la connaissance
peut comprendre et
expliciter le sens des phénomènes
humains. Un tel effort de la philosophie permettrait alors l'avènement de
ce que notre monde angoissé attend avec impatiente:une manière solide de
retrouver au delà des mots les choses, au delà des attributs les substances,
et au delà des faits les valeurs.
Sabine
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